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tance des répliques supprimées, puis n’envoyait plus rien, tout simplement. Sophie avait sa crise, et montrait, dans un visage rouge comme une tomate, ses petits yeux ardents chavirés par on ne savait quelle souffrance. Elle se mordait les lèvres, poussait de gros soupirs, et sa tête carambolait dans la boîte comme une pomme secouée dans une caisse à cigares. Puis la crise s’apaisait comme elle était venue, et la souffleuse recommençait à souffler comme un ange.

Réprimandée, interrogée, Sophie avait rougi, balbutié, puis parlé en termes vagues de douleurs imprécises qu’elle ressentait en des endroits mal définis. Ce n’était pas d’une clarté fulgurante, mais on n’en put rien tirer d’autre, et l’on se promit d’ouvrir l’œil.

On remarqua, d’abord, que les crises se produisaient toujours à des moments où Cajolle, son amant, n’était pas en scène. Puis, un soir, quelqu’un aperçut le troisième comique, alors qu’il croyait ne pas être vu, enfilant l’échelle qui conduisait dans le fond de cale, gouffre noir qui se partageait avec la scène, comme Cajolle avec Prunard, les charmes de la belle Sophie. Cinq minutes plus tard, la souffleuse piquait sa crise, et les artistes barbotaient de tout leur cœur dans le maquis des dangereuses improvisations.

On établit une surveillance étroite, et bientôt ceci fut démontré, clair comme le jour : Tous les soirs, quand son rôle lui en laissait le temps, Cajolle descendait sous la scène, dans les ténèbres du fond de cale, et c’est alors que se produisait la crise de Sophie, inévitablement.

Il faut vous dire que le Casino de Coqueville était, à cette époque, un fameux petit théâtre où l’on montait beaucoup plus de bateaux que de pièces. On était libre comme l’air. Le directeur ne s’occupait jamais