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« Des choristes ! proféra-t-il. Des choristes, à moi ! » Puis, gourmé, hautain et dédaigneux : « Et qu’est-ce qu’il resterait pour les femmes du monde ? » Son geste vaseliné montra toute la quincaillerie qui ornait ses doigts, sa cravate et son gilet, et il conclut : « Croyez-vous que c’est avec mes deux cent cinquante balles par mois que je me suis payé tout ça ? » Puis il s’en alla, fier, tranquille et élégant.

La grande Jeannine, la commère, le regarda partir, les narines froncées par une moue de dégoût ; Dès qu’il eut disparu, son indignation explosa : « Non ! Non ! cria-t-elle. Nous autres, on sait bien que nous ne pouvons pas faire autrement, parce que les femmes, c’est des femmes, n’est-ce pas… Mais un homme qui vit de ça et qui s’en vante… »

Dehors, Jolimont marcha vite, car le froid pinçait, et il n’habitait pas précisément près du théâtre. Après dix minutes de chemin, il pénétra dans une allée sombre, grimpa trois étages, et poussa une porte d’une main familière. La chambre était un étroit garni, pauvre mais prétentieux, comme tous les garnis à bon marché. Dans un coin, à la lueur d’une lampe à pétrole, une grosse femme, en camisole graisseuse et en tablier de cuisine, lessivait dans une cuvette posée sur une chaise.

— Bonsoir ! dit Jolimont.

La femme leva la tête. Elle devait avoir à peu près le même âge que lui. Mais, envahie par une graisse précoce, déformée par les travaux du ménage, elle paraissait dix ans plus vieille. Seuls, dans la face avachie et boursouflée, les yeux étaient restés beaux, deux grands yeux de passion, noirs et brûlants comme des tasses de café turc, et qui s’allumèrent d’une flamme subite quand le cabot entra. Précipitamment, la mari-