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La bande impétueuse dégringola l’escalier, traversa le foyer dans un grand froufrou de jupons et de rires, et gagna la rue d’un élan qui faillit renverser Ficelle, le second régisseur. « Eh bien, les mômes, où allez-vous ? » cria-t-il en en saisissant une par le bras. Mais la petite se dégagea prestement et fila à la suite des autres, en lançant d’une voix goguenarde :

— Nous sommes toutes engagées à Paris, à l’Opéra !… Nous prenons l’train dans une demi-heure ! Salut, mon vieux !… Compliments au patron !

Et, avec des clameurs joyeuses, la bande s’engouffra au Café des Artistes.

Mais, un pied sur le seuil, Zulma dut s’arrêter, le crâne cerclé d’une douleur intense. Elle hésita un instant, eut un soupir de regret en pensant à la bonne vadrouille que les autres allaient s’offrir, puis, la douleur se faisant plus lancinante encore, elle décida, triste et penaude :

— Zut, j’ai trop mal à la tête… Je vais m’fiche au pieu.

Le lendemain, Zulma s’éveilla à midi, la tête dégagée, mais encore bourdonnante. Elle déjeuna d’un croûton de pain largement arrosé d’eau claire, et se consola en pensant que c’était jour d’avances et qu’elle allait toucher le joli louis d’or demandé la veille au secrétaire du théâtre. Il lui vint bien à l’idée, un instant, que l’histoire de la grève pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour les grévistes. Mais comme ça la fatiguait de penser à des choses désagréables, elle conclut, avec infiniment de logique, que, quoi qu’il advînt le patron n’avait pas encore la tirelire assez large pour l’avaler toute crue. Et elle acheva tranquillement son sommaire repas.