Page:Ista - Contes & nouvelles, tome II, 1917.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.
82

promenade inspirée, cherchant des mots plus sales, des termes plus injurieux encore.

Son brouillon achevé, elle le relit, rature, corrige, ajoute une perfidie, un qualificatif flétrissant. Enfin, contente de sa tâche, elle la recopie sur du papier écolier, banal et impersonnel, lentement, de la main gauche, ce qui lui fait une grosse écriture tremblante, hommasse, où personne ne songerait à reconnaître les jolies pattes de mouche de la vieille caissière.

Mlle  Séraphine passe ses soirées à écrire des lettres anonymes.

Tout le jour durant, installée à sa caisse, impassible, indifférente en apparence, elle ne perd pas un mot des racontars, des suppositions, des calomnies qui montent autour d’elle, dans l’atmosphère de nervosité et de médisance que créent vingt bavardes s’exaltant l’une l’autre. Les demoiselles de magasin répètent, pendant les repas, ce qu’elle n’a pas entendu. Les porteuses, courant la ville tout le jour, entrant dans chaque maison, rapportent à la confiserie les conversations malveillantes ou haineuses des cuisinières et des cochers. Mlle  Séraphine écoute tout cela, penchée sur ses registres ou son fade roman, impassible en apparence, mais dévorée de joie et de curiosité. Avec une imagination désordonnée de feuilletonniste en délire, elle coud ensemble, pour en former des histoires absurdes et monstrueuses, les racontars les plus disparates, les plus faux, les plus invraisemblables, compliquant tout, salissant tout, concluant des moindres faits aux pires conséquences, transformant la petite ville froide et guindée en une Sodome infâme, digne d’attirer à nouveau le feu vengeur du Ciel.

Le soir, dans sa petite chambre, elle rédige pour