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dent en des bavardages interminables, elle gagne sa petite chambre située sous les toits, portant de façon bien ostensible un des chastes romans, approuvés par l’archevêché, qu’elle emprunte au cabinet de lecture voisin. Elle allume sa bougie, s’enferme au verrou, voile le trou de la serrure d’un vêtement pendu au bouton de la porte, puis jette sur sa petite table, avec un singulier dédain, l’honnête volume approuvé par Monseigneur.

Et soudain, à l’abri de toutes les curiosités, dans la sincérité d’une solitude certaine, Mlle Séraphine se transforme d’étrange façon. Plus de regards éteints et baissés, plus de sourire aimable et tranquille, plus de gestes mesurés et calmes, plus rien de ce qui caractérise, pour toute la ville, la bonne vieille demoiselle connue depuis trente ans. Une flamme s’allume dans les petits yeux noirs et perçants ; des dents pointues soulèvent, en un sourire méchant et vindicatif, le coin des lèvres pâles et sinueuses ; les petites mains ridées et sèches gesticulent, crispées et frénétiques. Sur ses semelles feutrées et silencieuses, Mlle Séraphine marche à grands pas, va et vient dans sa petite chambre comme une panthère dans sa cage, ou comme un poète qui cherche des rimes. Et des mots inattendus, incroyables, des mots ignobles, injurieux, orduriers, passent entre ses dents serrées, très bas, dans un sifflement à peine perceptible, pressé, rageur, bouillonnant comme l’exhalaison malsaine des gaz fétides et des eaux fermentées qui crèvent le sol d’un marécage.

Elle s’arrête parfois et, debout au coin de la table, jette sur un bout de papier la phrase qu’elle vient de construire avec tant de peine. Puis elle reprend sa