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elle était à cent lieues de penser que Gaston fût amoureux d’elle, et qu’elle le rendait à moitié fou, tremblant de désir et d’angoisse… Voilà bien les femmes ! On avait parlé chiffons, toilette, et elle rêvait sans doute à des fanfreluches, à des coupes inédites, à des garnitures nouvelles, sans soupçonner le martyre dont elle était la cause, et ce qu’un être humain endurait à ses côtés.

Alors doucement, Gaston se détourna, pour ne plus voir, pour tâcher de souffrir un peu moins.

Le crépuscule tombait lentement. Des ombres grises descendaient du plafond, une lueur mauve et apaisée filtrait encore entre les guipures des rideaux. Gaston entendit un frisson d’étoffe. Mme Cocheroy était debout. Elle alla vers la muraille, et la lumière rose des lampes électriques envahit le salon. Puis la dame se retourna vers Gaston. Droite et calme, elle souriait d’un air tranquille, et pourtant, il sembla au jeune homme qu’elle n’avait pas son expression habituelle, qu’il n’avait jamais si bien lu, dans les ombres de ses traits un peu empâtés, les signes de la maturité prochaine, les marques des déceptions, des chagrins, du souci de vivre… Sans doute cette lumière crue et soudaine…

Comme elle ne se rasseyait pas, il se leva en murmurant :

— Je crains, madame, d’avoir abusé…

— De rien, dit-elle, vous n’avez abusé de rien. Vous êtes décidément un jeune homme irréprochable.

Dans sa main encore brûlante de fièvre, il prit une petite main qui, par opposition sans doute, lui sembla glacée, et qu’il effleura d’un timide baiser. Il balbutia un « Au revoir », auquel elle répondit d’une voix plus haute que d’habitude, presque stridente :