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elle, face à face et de très près, il eut l’intuition très nette qu’elle allait lui prendre la tête à deux mains et l’embrasser sur la bouche. Mais elle ne fit que parler de choses banales, de sa raie, qu’elle lui conseilla de porter au milieu de la tête, et elle lui avait passé les doigts dans les cheveux, légèrement, pour indiquer la place, tandis que son souffle tiède frôlait la joue du jeune homme. Puis elle était allée s’asseoir sur un canapé, les yeux perdus dans le vague, répondant à peine, en de brefs monosyllabes, tandis qu’il continuait, par politesse, à l’interroger sur la meilleure façon de se coiffer. Il avait même craint de l’ennuyer, tant elle semblait penser à autre chose, et s’était senti très heureux de voir entrer quelqu’un.

Gaston avait conclu, de ce qu’elle ne l’embrassait pas spontanément sur la bouche, que Mme  Cocheroy ne pensait pas à lui, et n’était pas du tout ce que l’on disait. Puisqu’elle n’était pas femme à le séduire, comme il l’avait espéré, c’était donc à lui d’oser, hélas ! et de la conquérir.

Dès les premiers jours, elle lui avait dit une de ces phrases que l’on répète à tout le monde : « Je reçois le mardi les gens que je n’aime pas, et le jeudi ceux que j’aime. J’espère vous voir le jeudi. » Et l’amoureux avait décidé : « Chez elle ! C’est chez elle que je la séduirai ! Chez papa, c’est trop dangereux. »

Mais le sort s’était acharné sur Gaston. La première semaine, il avait eu sur la joue un petit bouton qui le défigurait complètement. Allez donc avouer votre amour à une femme, avec un bouton sur la joue ! Il avait profité de ce répit pour se commander des vêtements neufs, dignes d’une circonstance aussi solennelle. Le jeudi suivant, le tailleur, manquant à