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bizarre manie de compliquer étrangement ses itinéraires, ce qui est très désagréable quand on sort avec lui. On va s’engager dans une rue, il vous tire par le bras en disant :

— Non, pas par là, mon vieux. Je pourrais rencontrer de pauvres diables qui me doivent de l’argent.

Et il vous oblige à faire un immense détour. Comme le fait se renouvelle presque à chaque coin de rue, cela allonge beaucoup le trajet. C’est une petite manie bien excusable, après tout. J’ai ouï dire que la plupart des grands hommes avaient de ces tics singuliers.

L’autre jour, j’entrai au café de Joseph, où je l’avais laissé, la veille, en train de disserter savamment sur le renflouage des trains de bois flotté, une affaire épatante dont il venait d’être chargé. Je lui demandai, selon mon habitude :

— Que fais-tu, en ce moment ?

— Mon vieux, répondit-il, une affaire épatante ! Je suis expert en tableaux.

Puis, comme je ne pouvais m’empêcher de marquer quelque surprise, car Joseph jusqu’à ce jour ne s’était jamais occupé de peinture, il ajouta modestement :

— Oh ! seulement en tableaux anciens !

Là-dessus, il m’expliqua qu’il avait découvert une collection superbe, chez une vieille demoiselle noble qui la tenait de sa famille, et que des revers de fortune contraignaient à s’en défaire. Il était chargé d’en trouver le placement, et on lui promettait une commission épatante.

— De quelle époque sont ces tableaux ? demandai-je. Joseph prit un air grave et mystérieux.

— Ils sont très anciens, déclara-t-il…, excessivement anciens… tout ce qu’il y a de plus ancien !