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jamais des actrices sans affirmer que toutes sont des grues.

Le lendemain, elle a dit à son ami, — pas le baron, ni l’agent de change, c’était le sénateur, ce jour-là, — elle a dit à son ami :

— Moi, j’étais née pour être artiste.

— Dans ce cas, a-t-il répondu, moi, j’étais né pour être cardeur de matelas.

Nichette n’a pas insisté, parce qu’elle a vu à la pendule que le général allait venir, et qu’il était temps d’expédier le sénateur. Et depuis, les complications de sa vie lui ont complètement fait oublier son impérieuse vocation.

Mais en entendant ce précepte tout nouveau pour elle : « Il ne suffit pas d’avoir de la valeur, il faut encore se faire apprécier », elle a vu clair dans sa destinée. Si elle doit entrer au théâtre, pour devenir célèbre, bien entendu, elle doit faire apprécier sa valeur par des gens qui soient de la partie, car elle a conclu de sa réponse singulière que le sénateur n’y entendait rien. Nichette rêve à cela, quand un journal lui tombe sous la patte. Elle parcourt la chronique théâtrale et s’arrête à ces lignes :

« Un grand théâtre des boulevards montera prochainement la nouvelle pièce en trois actes du célèbre écrivain Claude Soleret. Le rôle principal, une jeune fille du très grand monde, est d’une telle complexité que l’auteur n’a pu se décider encore à en choisir l’interprète. »

Cela veut dire, bien entendu, que l’interprète vient d’être choisie, et qu’on lancera son nom au public quand il sera suffisamment alléché par quelques échos du même genre. Mais Nichette plane bien au-dessus de ces petites combinaisons, et elle s’écrie :