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Il répéta cet appel deux ou trois fois, sans obtenir de réponse. Pendant quelque temps, on l’entendit qui battait la semelle pour tâcher de se réchauffer, mais sans quitter sa place, ne voulant sans doute pas commettre la moindre incorrection dans une affaire d’honneur. Il patienta ainsi un gros quart d’heure, puis on l’entendit crier, d’une voix de plus en plus chevrotante :

— N’y a-t-il pas encore cinq minutes que je suis ici ?

Nulle voix ne répondit à la sienne. Alors on perçut des grondements, des jurons, puis un pas qui s’avançait, incertain, hésitant.

La rue était déserte… Sur le seuil du cabaret, une masse sombre gisait, étendue. Cul-de-Plomb, accroupi, la tâta longuement, de ses mains engourdies, croyant sans doute que c’était le cadavre de son adversaire, tué par le froid et la peur. À force de tâter, il finit par reconnaître ses propres vêtements, son chapeau, sa boîte de cigares. Mais celle-ci lui parut singulièrement lourde. Il l’ouvrit, elle ne contenait plus que des pierres. Alors, dans la rue noire et déserte, tendant le poing vers d’invisibles ombres, le jeune héros s’écria :

— Les lâches ! Les lâches ! Ils ont eu peur de moi !

Et, s’étant revêtu, il s’éloigna, traçant de larges zigzags dans la neige, et envoyant aux ténèbres muettes de terribles provocations.

Dans le cabaret, derrière la porte fermée et les volets baissés, nous buvions du punch brûlant en fumant les cigares de Cul-de-Plomb, qui étaient très bons, ma foi.

Le lendemain, en une lettre fort sèche, notre jeune ami envoya sa démission à la salle d’armes, et nous ne l’avons jamais revu.