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il n’en devait pas avoir non plus. Mon adversaire se rendit à ces bonnes raisons, et remit la précieuse boîte à ses témoins.

On allait nous mettre en garde. Déjà on entendait le froissement sinistre des fleurets, qu’un témoin prétendait aiguiser en frottant l’une sur l’autre leurs lames carrées, comme un cuisinier fait de ses couteaux. Mais quelqu’un s’écria :

— Ils n’ont pas fait leur testament ! On ne peut les laisser se battre ainsi !

Les dix-huit témoins s’écartèrent en un groupe chuchotant. Puis on m’apporta une feuille de carnet et un crayon, et on me fit asseoir sur le seuil glacé du cabaret, en me disant :

— Tu vas rester seul pendant cinq minutes, pour rédiger tes dernières volontés dans le silence et le recueillement. Ton adversaire en fera autant dans la rue voisine, tandis que les témoins se tiendront à l’écart. Puis nous reviendrons vous prendre.

Je voulus faire observer qu’il me serait impossible, sans lumière, d’écrire un seul mot. Mais des coups de poing vigoureux me signifièrent que j’allais dire des bêtises, et je me tus.

Cul-de-Plomb fut donc conduit dans une rue voisine, nanti d’un crayon et d’un morceau de papier, puis on lui déclara qu’on viendrait le rechercher dans cinq minutes. Et il resta seul, en manches de chemise, tête nue, perdu dans les opaques ténèbres que mouchetait, de ses vagues blancheurs, la neige qui tombait toujours plus dense. Essaya-t-il de rédiger ses dernières volontés ? On n’en a jamais rien su. Il était là depuis plus de dix minutes, quand il se décida à crier, d’une voix que le froid faisait grelotter :

— J’ai fini !… Va-t-on se battre ?