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Épiphanie moderne


Il y avait une fois, dans le quartier de la Villette, un pauvre vieux charpentier qui se nommait Joseph. Sa belle barbe blanche, sa calvitie majestueuse lui donnaient un air vénérable dont il était très fier, mais qui l’empêchait de trouver du travail, parce que les patrons préféraient des ouvriers jeunes et vigoureux.

Il s’en plaignait un jour à Marie, sa voisine, une jeune et jolie couturière en chambre qui savait si bien s’arranger, qu’avec un métier rapportant quarante à quarante-cinq sous par jour, elle parvenait à se payer des robes et des fourrures de plusieurs centaines de francs, et à passer chaque été trois mois à Trouville. Elle avait tant d’ouvrage qu’elle devait souvent s’absenter pendant des nuits entières pour le livrer à domicile.

— Pourquoi ne vous êtes-vous pas marié ? dit Marie à Joseph, qui se plaignait d’être seul et misérable.

— Hélas ! répondit le charpentier.

Et lui conta à voix basse qu’au temps où il faisait son service dans les dragons, un déplorable accident de cheval lui avait valu parmi ses camarades le surnom trop mérité d’Abélard.

— Est-ce bien vrai, ce que vous dites là ? demanda la couturière.