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avec un geste d’incompréhension navrée. Alors, le ténor hurla, les bras au ciel :

— C’est bien ça ! Il ne comprend même pas ce qu’il écrit !… Alors, il a de la voix, ce baryton, puisque vous en parlez tout le temps, et moi, je n’en ai pas, puisque vous n’en parlez pas !… Il a une diction impeccable, et moi je n’en ai pas, puisque vous n’en dites rien !… Lui, c’est un chanteur de style, et moi, je suis… je ne sais quoi, je suis une pantoufle, je suis un rien du tout !… Il est un artiste de la bonne école, lui ! Et moi je n’y suis jamais allé, peut-être, à l’école ! Je ne sais pas lire, moi ! Voilà ce que vous imprimez dans votre sale journal ! Voulez-vous que je vous dise la vérité, moi, sur votre baryton de mon sac ? Il chante comme un canard, il joue comme un cochon, et il est bâti comme un singe ! Voilà ce que c’est, votre petit baryton ! Et moi ! moi ! vous osez dire que je n’ai pas de voix, que je ne sais pas chanter !… Dites que je suis mal fait, que je ne suis pas beau garçon, pendant que vous êtes en train de mentir ! Dites-le ! dites-le donc dans votre sale feuille de chou !… Savez-vous que je dois gagner ma vie, moi, monsieur ?… Savez-vous que si j’avais une femme et des enfants, il suffirait peut-être de deux articles comme celui-là pour leur ôter le pain de la bouche ?… Ah ! brigand ! bandit ! Vous voulez donc avoir ma peau !

Tremblant de tous ses membres, prudemment retranché derrière son bureau, le pauvre petit journaliste murmura d’une voix timide :

— Mon cher ténor, mon cher ami, mon cher monsieur Carcragnac, je vous jure que je n’ai jamais eu l’intention…