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C’est alors que je décidai d’ouvrir l’œil.

Deux jours plus tard, je constate, en m’éveillant, un ciel bien gris, bien voilé, et je me dis en moi-même :

— Je parie que Lucette voudra faire de la hauteur aujourd’hui.

Ça ne rate pas. Je la laisse partir, elle file, et disparaît là-haut en quelques minutes. Les nuages ne devaient pas être à plus de quatre cents mètres. Fameux, pour mon asthme, car j’avais décidé de la suivre si haut qu’il le faudrait, pour voir ce qu’elle pouvait bien aller faire là-haut.

Je saute en mono à mon tour, je monte tout doucement, je traverse les nuages, je passe le nez dans le bleu… Et qu’est-ce que je vois ?… Devine, mon vieux, devine !… Le gros triplan rouge du petit Carmelot, son gros triplan de famille avec salon-fumoir et cabinet de toilette, son énorme triplan de vieux papa que nous trouvions si ridicule pour un célibataire.

Et le mono de Lucette l’accostait en douceur, par dessous, en vol ramé.

Je te jure que je ne compris pas, sur le moment, à quoi ils voulaient en venir. Je ne pensais pas à cette invention nouvelle qu’ils ont en Amérique, et dont j’ai lu la description dans les journaux, où tu as dû la voir aussi, à ce damné système d’abordage qui permet d’employer le dessous aussi bien que le dessus des plates-formes de lancement. Ce petit finaud de Carmelot avait installé un de ces appareils sous son triplan, et je vis le mono de ma femme s’y accrocher avec une aisance démontrant qu’ils ne faisaient pas cette manœuvre pour la première fois. Puis la robe blanche de Lucette se rapprocha du gros triplan rouge, et disparut dans la cabine…