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sachant là-haut, derrière les nuages, bien seule dans son petit monoplan, à deux mille mètres au-dessus des salons où l’on flirte.

Je la voyais donc partir, monter en spirale, et disparaître dans les nuages… Car il y avait toujours des nuages, quand Lucette avait envie de faire de la hauteur.

Je ne l’avais pas remarqué d’abord. Ce fut elle qui me mit la puce à l’oreille, avec cette rage qu’ont toutes les femmes de parler trop et de jouer avec le danger.

Un matin, elle était nerveuse, irritée. Je lui dis :

— Si tu faisais un peu de hauteur. Ça te calmerait.

Elle lance un regard hostile vers le ciel, qui était tout bleu, ce jour-là, sans le plus petit flocon de blanc ou de gris, et elle me répond d’un ton maussade :

— Je ne ferai pas de hauteur aujourd’hui.

— Pourquoi ? demandai-je.

Je t’assure que je n’avais pas le moindre soupçon, et que j’ignore moi-même pourquoi j’ai demandé cela. Elle me répond, avec un singulier petit air de défi :

— Parce qu’il n’y a pas de nuages.

Je m’en vais en haussant les épaules. Mais ça commence à me trotter dans la cervelle. Tu sais que je suis très soupçonneux, et tu vas voir que ce n’est pas toujours inutile. Je l’observe pendant quinze jours, et je remarque qu’elle ne fait de la hauteur, en effet, que les matins où le ciel est chargé, où l’on ne distingue plus rien au-dessus de cinq ou six cents mètres. Pourtant, un jour où je fais allusion à cela, elle commet la gaffe, la grosse gaffe, et me répond en riant trop fort :

— Tu es fou ! Je monte quand j’en ai envie, qu’il y ait des nuages ou non.