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— Figurez-vous, monsieur, que j’avais déniché le véritable homme sauvage. Pas un sauvage qui mange simplement du feu, comme vous ou moi pourrions le faire, ça c’est de la blague. Mais une vraie brute qui mordait à pleine mâchoire dans des rats et des lapins vivants, à la seule condition d’avoir ses six absinthes et ses trois litres de vin par jour. Pour de l’absinthe, voyez-vous, on lui eût fait boulotter le cadavre de son père, à ce gaillard-là. Ah ! quel numéro épatant !… Donc, je l’engage, je l’éduque pendant quinze grands jours, car il ne comprenait pas les exercices les plus simples…, une vraie brute, vous dis-je…, je lui achète un costume où il y avait des plumes et du paillon pour plus de cinquante francs, je le loge, je le nourris, je le saoule, je le gave… Un vrai coq en pâte, quoi ! Ah ! il me coûtait chaud, mon sauvage ! Mais je croyais tenir la fortune, avec un numéro comme ça. Enfin, je loue une loge, et je m’installe sur une foire de village, ici près, risquant dans l’affaire jusqu’à mon dernier sou. Tout marchait comme sur des roulettes : temps superbe, public gobeur à plaisir. J’avais composé un boniment magnifique, avec les hurlements du sauvage qui faisaient la basse, derrière la toile. Ce n’était pas mon homme qui hurlait, bien entendu, il était trop occupé à siroter son absinthe. Mais j’avais bien mieux que ça : un phonographe impressionné chez un dompteur de mes amis, un jour où ses cinq lions avaient la colique. Ça faisait un effet, mon cher monsieur ! En cinq minutes, la loge fut pleine, je dus refuser du monde. Enfin, j’entre en scène, j’affirme au public qu’il n’y a presque pas de danger, que le sauvage est attaché solidement. Je supplie les dames de ne pas s’évanouir de terreur, les messieurs de ne pas