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— Voici, lui dis-je, la marque que j’emploie d’habitude. Ce crayon ne coûte que sept sous dans tous les magasins. Pourtant, il est en bois de cèdre, essence bien préférable au sapin dont sont faits les vôtres, et contient une mine en véritable graphite de Sibérie, de qualité infiniment supérieure au plomb vil qu’emploie votre fabrique.

Sans insister, avec une parfaite bonne grâce, le camelot rempocha sa camelote.

— Du moment où monsieur s’y connaît mieux que moi ! dit-il avec un bon rire.

Puis, s’asseyant familièrement à ma table, il ajouta :

— Vous savez, c’est pas ma partie, les crayons, je fais un peu de tout, je suis banquiste, quoi ! Alors, dans le métier, on a des hauts et des bas, on fait une chose aujourd’hui, demain une autre. Tel que vous me voyez, j’ai dirigé un grand théâtre forain et tenu un manège de chevaux de bois. Ça n’empêche pas qu’hier je me suis trouvé sans emploi, sans domicile, sans espoir, avec quarante sous comme mise de fonds. C’est pas avec ça qu’on fait la pige à Luna-Park. Alors, j’ai entrepris un petit commerce de crayons. Affaire médiocre, cher monsieur, très médiocre. Mais bast, les beaux jours reviendront !

— Vous avez été éprouvé par un sinistre, un incendie ? demandai-je.

— Un incendie, monsieur ! Pis que cela, cent fois pis ! Un cataclysme inouï, inattendu, impossible à prévoir ou à réparer. Avant un incendie, on s’assure ; après, on reconstruit. Mais contre ce qui vient de m’arriver, il n’y a rien à faire, entendez-vous, absolument rien !

Puis, m’ayant ainsi alléché, sûr de tenir un auditeur pour l’histoire qu’il grillait évidemment de conter, il reprit :