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Tous les ans, le 20 juillet, la vieille dame posait son accent circonflexe sur la joue de son fils, puis lui glissait un louis dans la main, en disant :

— Bonne fête, Totor.

— Merci, m’man.

Puis Totor remontait à sa chambre pour serrer le louis dans le coin de droite du tiroir gauche de son lavabo, où sa mère allait constater, deux ou trois fois chaque jour, que la pièce d’or ne s’était pas envolée.

À partir du 1er août, la vieille dame insinuait adroitement, à chaque repas, qu’elle avait grand besoin de cinq mètres d’une certaine étoffe que les Galeries de la rue Saint-Paul liquidaient à trois francs quatre-vingt-quinze. Totor faisait un petit calcul mental, puis poussait un gros soupir. Le 12 août, avant-veille de la Sainte-Eusébie, il reprenait le louis, décrochait, au mur de la cuisine, la clef de la porte de la rue, dont il n’avait le droit de s’emparer qu’à cette seule occasion. Puis il sortait, à la nuit tombée, d’un air indifférent. Mme Bodet fermait la devanture de sa boutique, et allait se coucher, contre l’ordinaire, sans attendre son fils. Le lendemain matin, celui-ci l’embrassait en lui remettant un paquet enveloppé de papier gris.

— Bonne fête, m’man.

— Merci, Totor, quelle bonne surprise !

Puis elle allait voir si la clef avait repris sa place habituelle.

En sortant, ce soir-là, Totor aspira longuement la fraîcheur du soir, puis tâta son louis pour voir s’il ne l’avait pas perdu. Ce fils modèle avait dix-neuf ans, un grand nez plein de concupiscence, et trouvait la vie amère parce qu’il n’avait que quarante sous par semaine pour ses menus plaisirs. Il allait à pas