tendit une pièce de vingt sous qui disparut au moment où elle voulait la prendre, et qu’il lui tira du nez avant que la vieille fût revenue de sa stupeur.
Ayant ainsi démontré qu’il n’était pas le premier venu, l’homme s’avança de mon côté, salua en face, à gauche, à droite, comme un régisseur qui va faire une annonce, puis déclara, volubile et souriant :
— Mais tout ceci n’est rien, cher monsieur, moins que rien, la petite bagatelle de la porte destinée à attirer votre attention sur mon humble personne. Tel que vous me voyez, j’ai l’honneur de représenter la fameuse maison John Morgan and Company, la plus grande usine de crayons qui soit au monde, la seule fabriquant, à raison de deux milliards de pièces par jour, les célèbres crayons W. T. C. H., la célèbre marque sans rivale, inégalable et indispensable pour le bureau, le dessin, la comptabilité, l’architecture et les lettres d’amour. Dans les grands magasins de New-York, de Londres, de Vienne, de Saint-Pétersbourg, ces crayons se vendent soixante-quinze centimes la pièce, pas un sou de moins. Moi, pour faire connaître au public français ces crayons merveilleux, dont on vient de charger trois transatlantiques qui arriveront au Havre la semaine prochaine, je ne les vends pas, je les donne, à titre de réclame et de publicité, pour la somme minime et ridicule de vingt sous la douzaine seulement. Combien de douzaines monsieur en désire-t-il ?
Il sortit de sa poche une poignée d’énormes cylindres en sapin, noueux, mal rabotés, mal teintés, mal vernis, marqués au bout par la tache oblongue et grise d’une large lame de plomb, et me les tendit d’un air engageant. À mon tour, je tirai un crayon de ma poche.