La Sainte-Eusébie
Mme veuve Bodet vendait pour deux sous d’aiguilles à la petite bonne du quincaillier, lorsque son fils, Victor Bodet, traversa l’étroite boutique.
— Tu sors, Totor ?
— Oui, m’man.
— Ne rentre pas trop tard.
— Non, m’man.
Et Totor sortit, cependant que le mince accent circonflexe qui tenait lieu de bouche à madame sa mère se relevait aux deux bouts, jusqu’à devenir, presque, pas tout à fait, une simple ligne horizontale. Était-ce un sourire ? Non ! eussent répondu sans hésiter tous les habitants de la petite ville. Car il était de notoriété publique qu’on ne voyait le mince sourire de Mme Bodet que lorsqu’elle entendait dire ou disait du mal de quelqu’un. M. Toupinard, le coiffeur, prétendait bien l’avoir vu rire comme une personne naturelle, le jour où le charcutier d’en face avait pincé sa femme en flagrant délit. Mais tout le monde sait que M. Toupinard est un hâbleur, qui prétend avoir eu un tas d’aventures extraordinaires.
Et pourtant, c’était un sourire ! Oui. Mme Bodet avait souri, comme si elle n’était pas Mme Bodet, en voyant sortir Totor, et en pensant que c’était le lendemain la fête de Sainte-Eusébie, sa patronne.