Page:Ista - Contes & nouvelles, tome I, 1917.djvu/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.
40

Des « chuts ! » nombreux retentissent dans l’obscurité. Mais Guinglard n’en a cure. Toujours debout, il continue à voix haute :

— Je l’reconnais bien, malgré qu’i s’a déguisé et qu’il a laissé pousser ses cheveux ! I’m’doit quinze jours de pension, c’pierrot-là, et quinze jours pour sa fumelle, ça fait trente ! Il a fichu l’camp sans rien m’payer ! Qu’il ose donc l’nier, pour voir !

Je le tire par sa blouse en le suppliant de se rasseoir. Les protestations du public se font plus nombreuses, plus véhémentes. La représentation continue toutefois, et le prince Zinzolin, ayant fait sortir ses courtisans, se livre à une mimique passionnée aux pieds d’une belle dame en grands atours. Guinglard reprend, plus haut que jamais :

— Faites donc pas l’innocent, m’sieur Gaston, puisque j’vous ai r’connu ! Faites donc pas semblant qu’vous m’entendez pas ! Vous m’devez cent cinquante francs pour les quinze jours que vous avez passés chez moi avec vot’dame, tout l’village est là pour le dire ! Et j’vous compte même pas tous les pernods qui sont encore marqués derrière le volet ! V’nez donc vous expliquer avec moi, si vous êtes un homme !

La moitié de la salle est debout, riant ou protestant. Mais soudain, sur l’écran, le décor change, la scène représente un vaste perron. Zinzolin en descend les degrés, menant la belle dame par la main, et se dirige vers un carrosse attelé de quatre chevaux blancs. Voyant cela, cet idiot de père Guinglard grimpe sur sa banquette en gueulant :

— Ah ! mais non ! Ah ! mais non ! Tu n’vas pas filer comme ça d’nouveau ! M’faut mes sous, d’abord ! Arrêtez, cocher ! Arrêtez ! I vous payera pas non plus !