j’étais le plus retors des hommes d’affaires, et rien ne pourra désormais lui ôter cette idée.
Or, une de ses cousines vient de mourir ici, lui léguant quelques milliers de francs. Le père Guinglard, qui a une peur horrible de Paris, tombe chez moi à l’improviste, ce matin, et déclare que je suis le seul homme au monde capable de le tirer d’affaire, que si je ne m’en mêle pas, il ne verra jamais un sou de son héritage. Je l’accompagne chez le notaire, où nous trouvons toutes choses parfaitement en règle, sans la moindre complication possible, ce dont le vieux m’attribue tout l’honneur, quoi que je dise pour m’en défendre.
Je l’emmène déjeuner, puis, ne sachant qu’en faire, l’idée me vient de le conduire au cinéma. Je l’installe, il s’assied, regarde de tous ses yeux, n’ayant pas l’air de comprendre, mais semblant s’amuser beaucoup. Pendant un entr’acte, j’essaie de lui expliquer, en des termes à sa portée, comment ce spectacle est obtenu. Il m’écoute d’un air incrédule et narquois, puis, l’explication terminée, cligne son petit œil rusé, et déclare tranquillement :
— Que vous êtes donc farceur… Y sont derrière la toile… J’l’ai bien vu !
La lumière s’éteint. Un titre apparaît sur l’écran : « Aventures du prince Zinzolin. » Une salle de palais surgit, peuplée de dames et de seigneurs. Ils se rangent, font la haie, et s’inclinent profondément sur le passage du prince, qui entre en costume somptueux, la mine haute et fière, suivi par des pages qui portent les coins de son manteau. Là-dessus, le père Guinglard se lève, tend le poing vers l’écran, et profère d’une voix terrible :
— Te v’là donc, crapule ! Vas-tu me payer, maintenant ?