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La Dette
du Prince Zinzolin


Planté au bord du trottoir, mon ami Barnache lançait vainement des appels désespérés aux cochers, aux chauffeurs qui passaient devant lui. Mais ces messieurs, d’un signe de tête goguenard, indiquaient leur petit drapeau renversé, avec l’air de profonde jubilation qu’ils ont tous, quand ils peuvent refuser de sortir quelqu’un d’embarras.

Car Barnache était dans l’embarras, ça se voyait à son chapeau fendu et défoncé, à ses vêtements en désordre, à son faux-col arraché, à sa figure qui semblait avoir servi, pendant quelques minutes, de punching-ball à un champion des poids lourds.

Aussi, en l’abordant, lui dis-je sans hésiter :

— Tu fais donc de la politique, maintenant ?

Car j’aurais juré qu’il sortait d’une réunion électorale. Mais Barnache répondit, en me serrant la main d’un air fort piteux :

— Non, mon vieux, ce qui m’arrive est encore plus bête. C’est au cinéma que je me suis fait arranger ainsi.

Un taxi passait, libre enfin. Mon ami l’arrêta d’un signe, s’y enfourna avant même qu’il fût arrêté, puis, tendant vers moi une main sale, écorchée, qui sortait d’une manchette en lambeaux :