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que ce cahier n’avait pu être emporté que par toi, l’éternel distrait. Et j’ai pensé juste, puisque, t’ayant télégraphié à Trouville, je rentre en possession de mes notes.

* * *

Théodule écoutait mal, impatient de s’expliquer, de contredire, et taquinant d’un doigt agacé un des anneaux de bronze qui ornaient le bureau de son ami.

— Distrait… ronchonna-t-il, c’est vite dit ! Moi, je prétends que ces choses-là arrivent à tout le monde, à chaque instant. Mais tu as déclaré un jour que j’étais distrait, et ne voulant pas en avoir le démenti, tu épluches mes moindres actes, pour y trouver des preuves de distraction que tu découvrirais aussi bien chez le premier venu, si tu voulais en prendre la peine. Et tu ne songes pas que ça me fait un tort énorme, si tu cries à tous les imbéciles, qui s’empresseront de le croire et de le répéter : « Théodule est un distrait !… » Moi, un distrait !… Elle est un peu forte, celle-là !

Son doigt, fiévreusement, tiraillait l’anneau de bronze, par petites secousses qui scandaient ses paroles.

— Distrait ! répéta-t-il encore… Est-ce une preuve de distraction, ce que j’ai fait aujourd’hui ?… Je vérifiais les comptes de ma blanchisseuse… C’est drôle, hein ? un distrait qui épluche tous les quinze jours son carnet de blanchissage, qui ne se laisse pas voler un centime par ses fournisseurs… Au beau milieu d’une addition, on m’apporte ton télégramme. Je fouille mes poches, j’y trouve ton carnet de notes, et aussitôt, sans tergiverser, sans perdre une seconde, comme eût fait un distrait, je déclare à la blanchisseuse que je dois sortir à l’instant, et la payerai un autre jour. Elle insiste, je me fâche. Elle hausse le