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DE LA PHILOSOPHIE NATURELLE.

n’eſt jamais & nulle-part. Toute ame qui ſent en divers temps, par divers ſens, & par le mouvement de pluſieurs organes, eſt toujours une ſeule & même perſonne indiviſible.

Il y a des parties ſucceſſives dans la durée, & des parties co-exiſtantes dans l’eſpace : il n’y a rien de ſemblable dans ce qui conſtitue la perſonne de l’homme ou dans ſon principe penſant ; & bien moins y en aura-t’il dans la ſubſtance penſante de Dieu. Tout homme, en tant qu’il eſt un Etre ſentant, eſt un ſeul & même homme pendant toute ſa vie & dans tous les divers organes de ſes ſens. Ainſi Dieu eſt un ſeul & même Dieu partout & toujours. Il eſt préſent partout, non ſeulement virtuellement, mais ſubſtantiellement, car on ne peut agir où l’on n’eſt pas. Tout eſt mû & [1] contenu dans lui, mais ſans aucune action des autres êtres ſur lui. Car Dieu n’éprouve rien par le mouvement des corps ; & ſa toute-préſence ne leur fait ſentir aucune réſiſtance, il eſt évident que le Dieu ſuprême éxiſte néceſſairement : & par la même néceſſité il éxiſte partout & toujours. D’où il ſuit auſſi qu’il eſt tout ſemblable à lui-même, tout œil, tout oreille, tout cerveau, tout bras, tout ſenſation, tout intelligence, & tout action : d’une façon nullement humaine, encore moins corporelle, & entiérement inconnue. Car de même qu’un aveugle n’a pas d’idée des couleurs, ainſi nous n’avons point d’idées de la maniére dont l’Etre ſupréme ſent & connoît toutes choſes. Il n’a point de corps ni de forme corporelle, ainſi il ne peut être ni vû, ni touché, ni en-

  1. Les anciens penfoient ainsi, comme il paroît par la maniére dont s’exprime Pythagore, dans le livre de la Nature des Dieux de Ciceron, liv. i. ainſi que Thalés & Anaxagore ; Virgile dans les Georgiques, liv. 4. v. 220 & dans le 6 liv. de l’Eneide v. 721. Philon au commencement du liv. i. de l’Allégorie. Aratus dans ſes phénoménes. Il en est de même des Auteurs ſacrés, S. Paul, Actes des Apôtr. ch. 17. v. 27. & 28. S. Jean dans son Evangile, ch. 14. v. 2. Moyse dans le Deuteronome, ch. 4. v. 39 & ch. 10. v. 14. David dans le Pſeaume 139. v. 7. 8 & 9. Salomon au i. liv. des Rois, ch. 8. v. 27. Job, ch. 22. v. 12. 13 & 14. Jérémie, ch. 23. v. 23 & 24. Les Payens s’imaginoient que le Soleil, la Lune, les aſtres, les ames des hommes & toutes les autres parties du monde étoient des parties de l’être ſupréme & qu’on leur devoit un culte, mais c’étoit une erreur.