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leur mobilité, leur impénétrabilité ; il faut que l’on puiſſe expliquer éxactement les phénomenes de la nature par la loi de la peſanteur, ou que l’on renonce à en donner une explication raiſonnable en faiſant uſage de l’étendue, de la mobilité & de l’impénétrabilité des corps.

Je ne doute pas qu’on ne déſaprouve cette concluſion, & qu’on ne me reproche de ramener les qualités occultes. On ne ceſſe de nous objecter que la gravité eſt une qualité de cette eſpèce, & qu’on doit bannir abſolument de la philoſophie naturelle toutes les explications fondées ſur de pareilles cauſes : mais nous pouvons répondre que l’on ne doit pas appeller occultes des qualités dont l’exiſtence eſt évidemment démontrée par l’expérience ; mais celles-là ſeulement qui n’en ont qu’une imaginaire, & qui ne ſont prouvées en aucune maniére. Ceux qui ont réellement recours aux qualités occultes ſont ceux qui, pour expliquer les mouvemens de la nature, ont imaginé des tourbillons d’une matière qu’ils forgent à plaiſir, & qui ne tombe ſous aucun ſens.

Faudra-t-il donc rejetter la gravité de tous les ouvrage philoſophiques, comme une qualité occulte, par ce que l’on ignore juſtement qu’à préſent la cauſe de cette même gravité ? En établiſſant de pareils principes, que l’on prenne garde de donner dans des abſurdités manifeſtes, & de ruiner par-là tous les fondements de la Philoſophie. En effet toutes les cauſes sont liées les unes aux autres par une chaîne non interrompue, & ſe déduiſent les unes des autres en allant du plus ſimple au plus compoſé. Si vous arrivez une fois à la cauſe la plus ſimple, il ne vous ſera pas poſſible de remonter plus haut ; car on ne peut pas donner une explication méchanique de la cauſe la plus ſimple ; & ſi cela ſe pouvoit, dès-lors elle ceſſeroit d’être telle. Il faudra donc traiter de qualités occultes les cauſes de cette nature, & les bannir de la Philoſophie ; ce qui ne peut avoir lieu, que l’on n’éxclue pareillement toutes celles qui dépendent immédiatement des premieres, & celles qui ſe déduiſent des ſecondes, & ainſi de ſuite juſqu’à ce que l’on ait abſolument ſupprimé toutes les cauſes des phénomenes qu’il faut expliquer.

D’autres regardent la gravité comme un effet ſurnaturel, & veulent que ce ſoit un miracle perpétuel, d’où ils concluent qu’il faut la rejetter, puiſque les cauſes ſurnaturelles ne doivent point avoir lieu en phyſique. Une objection ſi miſérable, & que renverſe toute philoſophie, mérite à peine que l’on y réponde ; car ſuivant cette idée, ils ſe trouvent réduits à l’une de ces deux extrémités, ou de ſoutenir, contre toute évidence, que la péſanteur n’eſt pas une propriété commune à tous les corps ; ou de regarder comme ſurnaturel tout ce qui ne dépend pas des autres propriétés des corps, ou d’une cauſe