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compoſés de parties attirantes dans la même raiſon.

Les conſéquences de ce que l’on vient de déduire, ſont fondées ſur cet axiome reçu de tous les Philoſophes, que les effets de même genre dont les propriétés connues ſont les mêmes, ont auſſi les mêmes cauſes, d’où naiſſent les mêmes propriétés, quoique ces cauſes ne ſoient pas encore connues. Qui doute en effet, ſi c’eſt la peſanteur qui fait tomber les pierres en Europe, que ce ne ſoit auſſi la même peſanteur qui les faſſe tomber en Amérique ? Si la peſanteur eſt réciproque entre la terre & les pierres en Europe, qui pourra nier qu’elle ait la même propriété en Amérique ? Si la force attractive de la terre ou d’une pierre eſt le réſultat des forces attractives des parties dans l’Europe ; ne faut-il pas auſſi qu’en Amérique elle réſulte d’une pareille combinaiſon ? Si la force de la peſanteur ſe trouve dans toutes les eſpéces de corps, & ſe fait ſentir à toutes ſortes de diſtances en Europe, pourquoi voudrions-nous ſentir qu’elle n’auroit pas auſſi les mêmes propriétés en Amérique ? Cette regle eſt la baſe de toute la Philoſophie ; ſupprimez la & vous ne pourrez plus rien établir d’univerſel. On ne connoît la nature de chaque choſe que par les obſervations & les expériences, & de-là il ſuit que nous ne jugeons que par cette régle d’analogie.

Puis donc que tous les corps terreſtres & céleſtes que nous pouvons obſerver, ou ſur leſquels nous pouvons faire des expériences, ſont des corps peſants ; il faudra dire que la peſanteur eſt une propriété qui convient à tous les corps ; & de même que nous n’en pouvons concevoir aucuns qui ne ſoient étendus, mobiles & impénétrables, nous ne pouvons pas non plus en concevoir qui ne ſoient peſants. C’eſt par l’expérience que nous connoiſſons l’étendue, la mobilité & l’impénétrabilité des corps, & c’eſt auſſi par l’expérience que nous connoiſſons leur gravité. Tous les corps que nous avons pu obſerver ſont étendus, mobiles & impénétrables ; & nous en concluons que tous, ceux même ſur leſquels nous n’avons pas pu faire d’obſervations, ſont pareillement étendus, mobiles & impénétrables. Tous les corps que nous avons pu obſerver ſont peſants, & nous concluons légitimement de même que ceux ſur leſquels nous n’avons point fait d’expériences, ſont aussi des corps peſants. Si l’on nous dit que les corps des étoiles fixes n’ont point de gravité, parce que l’on n’a pas encore pu l’observer, on pourra nous prouver auſſi par le même raiſonnement que ces corps ne ſont ni étendus, ni mobiles, ni impénétrables ; car on n’a pas encore obſervé ces propriétés dans les fixes. Mais à quoi bon m’arrêter plus long-temps ? il faut que la peſanteur ſoit une des propriétés primitives de tous les corps, ou que l’on ceſſe de regarder comme telle leur étendue,