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aperçoit « la plus belle et la plus fraîche jeune fleur » qu’il eût jamais vue. C’est la charmante lady Jane, qui se promène dans le jardin pour jouir de la beauté de cette « fraîche matinée de mai ». S’offrant à ses regards d’une façon aussi soudaine, dans une heure de solitude, de sensitivisme excessif, elle captive de prime abord l’imagination de ce prince romanesque, et devient l’objet de ses désirs inquiets, la souveraine de son monde idéal.

Il y a dans cette charmante scène une ressemblance évidente avec la première partie du conte du Chevalier, de Chaucer, où Palémon et Arcite tombent amoureux d’Emilia, qu’ils voient se promener dans le jardin de leur prison. Peut-être l’analogie du fait actuel et de l’épisode qu’il avait lu dans Chaucer a-t-elle amené Jacques à s’y arrêter dans son poëme. Le portrait qu’il trace de lady Jane est dans la manière descriptive et minutieuse de son maître ; et comme le modèle a certainement posé devant lui, c’est un tableau achevé d’une beauté de l’époque. En homme épris, il s’appesantit avec amour sur toutes les parties de sa toilette, depuis le réseau de perles, tout resplendissant d’émeraudes et de saphirs, qui emprisonnait ses cheveux d’or, jusqu’à la « belle chaîne de fine orfèvrerie » qui entourait son cou, et d’où pendait un rubis en forme de cœur, qui ressemblait, dit-il, à une étincelle de feu brûlant sur son sein de neige. Sa robe, d’un blanc tissu, était relevée, pour lui permettre de marcher plus librement. Elle était accompagnée de deux femmes ; autour d’elle folâtrait un petit chien de chasse orné de clochettes, probablement le petit chien de chasse italien aux formes si délicates, le favori des salons, le chéri des belles dames de l’ancien temps. Jacques termine sa description par une série de louanges générales.


D’un air modeste elle était jeune et belle ;
Riche, elle avait la grâce et la bonté.
Je veux louer, mais ma plume peut-elle
Louer assez ! La générosité,
Le jugement, la calme dignité,
Resplendissaient jusqu’en son attitude.
Telle elle était sans soins et sans étude.


Lady Jane, en quittant le jardin, met un terme à cette passa-