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leur nudité. C’est alors que mes yeux se portèrent sur le vieux gentleman brouillon à la perruque tirée du grec, qui, saisi d’épouvante, cherchait à s’échapper, pendant qu’une demi-douzaine d’auteurs le poursuivaient de leurs cris. Ils lui marchaient sur les talons ; en un clin d’œil sa perruque eut disparu ; à chaque tour il se trouvait dépouillé d’un des lambeaux qui composaient son costume, jusqu’à ce qu’au bout de quelques instants il ne fût plus resté de cette pompe dominatrice qu’un petit homme cassé, poussif et chauve, et qu’il eût opéré sa sortie avec quelques misérables guenilles seulement, quelques haillons flottant sur son dos.

Il y avait quelque chose de si burlesque dans la catastrophe de ce savant Thébain, que je partis d’un éclat de rire fou qui détruisit toute l’illusion. Le tumulte et la bagarre cessèrent. La chambre reprit son air habituel. Les vieux auteurs rentrèrent précipitamment dans leurs cadres, et se suspendirent aux murailles dans une mystérieuse solennité. Bref, je me trouvai parfaitement éveillé dans mon coin, et toute cette assemblée de vers rongeurs de livres me regardait de l’air du plus profond étonnement. Rien n’avait été réel dans ce rêve que mon éclat de rire, bruit que jamais auparavant on n’avait entendu dans ce grave sanctuaire, et si antipathique aux oreilles de la sagesse, qu’il électrisa la confrérie.

Le bibliothécaire alors s’avança vers moi et me demanda si j’avais une carte d’admission. D’abord je ne le compris pas, mais je découvris bientôt que la bibliothèque était une espèce de chasse littéraire réservée, sujette par conséquent aux lois sur la chasse, et que personne ne pouvait prétendre à y chasser que muni d’une licence spéciale, avec une permission. En un mot, j’étais pris en flagrant délit de braconnage, et fus trop heureux de faire une retraite précipitée, pour ne pas avoir toute une meute d’auteurs lâchée sur mes talons.