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poudreux ? C’est ce que je laisse à de plus savants que moi à déterminer.

Là se trouvait aussi un petit monsieur très-éveillé, aux vêtements de couleurs éclatantes, à la figure pleine de bonhomie et de gaieté, qui avait tout l’air d’un auteur en bons termes avec son libraire. Après l’avoir attentivement considéré, je reconnus en lui un infatigable producteur de miscellanées qui s’enlevaient assez bien. Je fus curieux de voir comment il confectionnait ses denrées. Il faisait plus de bruit et paraissait plus occupé qu’aucun des autres ; parcourant légèrement une foule de livres, voltigeant au-dessus des feuillets de manuscrits, tirant un morceau de l’un, un morceau de l’autre, « ligne sur ligne, précepte sur précepte, ici un peu et là un peu ». Le contenu de son livre semblait formé d’éléments aussi hétérogènes que celui de la chaudière des sorcières dans Macbeth. Ici c’était un doigt, et là c’était un pouce ; ici un orteil de grenouille, là l’aiguillon d’une anvoie, avec son cailletage à lui, qu’il y avait versé en guise de « sang de babouin », pour rendre le mélange « visqueux et bon ».

Après tout, pensai-je, cette disposition des auteurs à la friponnerie ne peut-elle pas leur avoir été mise au cœur dans un sage dessein ? Ne serait-ce pas le moyen employé par la Providence pour que les semences de savoir et de sagesse soient transmises d’âge en âge, en dépit de l’inévitable déclin des ouvrages où elles se produisirent d’abord ? Nous voyons que la nature a sagement, bien que capricieusement, chargé du transport des semences de climat en climat, la panse de certains oiseaux : de sorte que des animaux qui, par eux-mêmes, ne valent guère mieux que de la charogne, et ne sont, suivant toute apparence, que d’effrontés pillards de vergers et de champs de blé, sont en fait les messagers dont se sert la nature pour disperser, éterniser ses bienfaits. De même, ces bandes d’écrivains larrons font main basse sur les beautés et les grandes pensées que la rouille a couvertes ; elles revoient le jour pour fleurir et porter leurs fruits dans un avenir éloigné. Beaucoup de ces ouvrages, d’ailleurs, subissent une espèce de métempsycose et renaissent sous une forme nouvelle. Ce qui primitivement était une histoire soporifique revit sous la figure d’un roman ; — une vieille légende