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séché, sans vie, il tombe au milieu du silence de la forêt ; et comme nous méditons sur cette belle ruine, nous essayons en vain de nous rappeler l’ouragan, le coup de foudre qui l’a terrassé.

J’ai vu bien des exemples de femmes dépérissant à vue d’œil, qui disparaissaient par degré de la terre comme si elles se fussent exhalées vers le ciel, et parfois je me suis imaginé qu’en écartant tous les intermédiaires, tels que la consomption, la toux, l’abattement, la langueur, la mélancolie, je pourrais, remontant à l’origine du mal, arriver aux premiers symptômes d’un amour malheureux. Mais un exemple de ce genre me fut rapporté dernièrement. Les faits sont bien connus dans le pays où ils se sont passés, et je les donnerai tels qu’ils m’ont été racontés.

Chacun doit se rappeler la tragique histoire du jeune E…, le patriote irlandais : elle était trop touchante pour être vite oubliée. Pendant les troubles de l’Irlande on l’accusa de trahison ; on lui fit son procès, il fut condamné et exécuté. Son sort fit une impression profonde sur la sympathie publique. Il était si jeune, — si intelligent, — si généreux, — si brave, si — tout ce que nous sommes portés à aimer dans un jeune homme ! Et puis son attitude pendant le procès fut si grande, si intrépide ! La noble indignation avec laquelle il repoussa l’accusation de trahison contre son pays — son éloquent plaidoyer pour son honneur — son émouvant appel à la postérité, à l’heure suprême de la condamnation, — tout cela se grava profondément dans les cœurs généreux, et ses ennemis mêmes se plaignirent de la rigoureuse politique qui voulait son exécution.

Mais il y eut un cœur dont il serait impossible de dépeindre l’angoisse. Dans des temps plus heureux, quand la fortune lui souriait, il avait gagné l’affection d’une belle et intéressante enfant, la fille d’un avocat irlandais célèbre encore il y a quelques années. Elle l’aimait de l’amour naïf, ardent et désintéressé d’une femme à son premier amour. Quand le monde s’éleva contre lui, quand sa fortune fut ruinée, quand le déshonneur et le danger s’amassèrent autour de son nom, elle l’aima plus ardemment encore pour ses souffrances mêmes. Si alors son malheur pouvait éveiller jusqu’à la sympathie de ses ennemis, quelle dut être l’agonie de celle dont l’âme tout entière était remplie de son image ! Qu’ils le disent, ceux qui ont vu les portes du tombeau