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et de ses sentiments ; et s’ils deviennent les ministres du chagrin, où cherchera-t-elle des consolations ? Son lot est d’être désirée et obtenue ; mais si elle est malheureuse en amour, son cœur ressemble à une forteresse qui a été prise, saccagée, abandonnée, et qui n’offre plus que désolation.

Que de beaux yeux s’obscurcissent, — que de joues veloutées pâlissent, — que de formes charmantes se flétrissent pour la tombe, et personne pour dire d’où venait le vent qui a soufflé sur leur beauté ! De même que la colombe rapproche vivement ses ailes pour couvrir et cacher le trait qui dévore sa vie, il est dans la nature de la femme de dérober au monde les angoisses d’une affection blessée. L’amour d’une femme délicate est toujours timide et silencieux : même quand il est heureux, c’est à peine si elle se le murmure à elle-même ; en est-il autrement, elle l’ensevelit dans les profondeurs de son sein, et le laisse là s’accroupir et couver au milieu des ruines de sa tranquillité. Ce que son cœur désirait lui a échappé. Pour elle le grand charme de l’existence s’est évanoui. Elle néglige tous les exercices qui égayent et réjouissent l’esprit, précipitent les pulsations, et font que la vie court et bondit le long des veines. Plus de repos pour elle ! pour elle le sommeil n’est plus un baume réparateur, il est empoisonné par des songes mélancoliques ; — « le chagrin altéré boit son sang, » jusqu’à ce que son corps énervé s’affaisse sous la moindre pression extérieure. Informez-vous d’elle quelque temps après et vous trouverez l’amitié versant des larmes sur sa tombe prématurée, se demandant comment celle qui, naguère encore, brillait de tout l’éclat de la force unie à la beauté, a pu devenir si vite la proie « des ténèbres et des vers. » On vous parlera de refroidissement soudain, d’indisposition fortuite, sous lesquels elle a succombé ; — mais tout le monde ignore le mal intérieur qui bien auparavant avait miné ses forces, qui l’a laissée sans défense contre la mort.

Elle ressemble à ce tendre arbuste, l’orgueil et l’ornement du bosquet : ses formes sont gracieuses, son feuillage est éclatant, mais le ver est au cœur et le ronge. Tout à coup nous remarquons qu’il se flétrit, quand il devrait être plus vigoureux et plus sain que jamais ; nous voyons ses branches pencher vers la terre, et ses feuilles tomber l’une après l’autre, jusqu’à ce que,