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en harmonie. Je crois que c’est une des grandes raisons qui font que la noblesse et la bourgeoisie sont plus populaires parmi les classes inférieures en Angleterre que dans tout autre pays, et que celles-ci ont supporté tant d’excessives violences et tant de misère sans murmurer d’une façon plus générale contre l’inégal partage de la fortune et des priviléges.

À ce mélange de la société cultivée et de la population rustique peut aussi s’attribuer le sentiment de la campagne qui circule le long de la littérature anglaise ; le fréquent usage de comparaisons tirées de la vie champêtre ; ces incomparables descriptions de la nature qui abondent dans les poëtes anglais — qui commencent à « la Fleur et la Feuille » de Chaucer, et qui ont transporté dans nos cabinets toute la fraîcheur, tous les parfums d’un paysage baigné de rosée. Il semble que les poëtes bucoliques des autres pays aient accidentellement rendu visite à la nature, et pris de ses charmes une idée générale ; mais les poëtes anglais ont vécu, fraternisé avec elle — ils l’ont suivie dans ses plus secrets asiles — il n’est pas un de ses moindres caprices qui leur ait échappé. Un rameau n’a pu trembler dans la brise — une feuille n’a pu bruire dans le gazon — une goutte diamantée chanter dans le ruisseau — un parfum n’a pu s’exhaler de l’humble violette, la marguerite découvrir au matin ses teintes cramoisies, que ces observateurs passionnés et délicats n’en aient pris note, qu’ils n’en aient tiré quelque grande moralité.

C’est une chose merveilleuse que l’effet produit sur la face du pays par cet amour des esprits élégants pour les occupations champêtres. Comme une grande partie de cette île est plane, ce serait d’une monotonie extrême n’étaient les charmes de la culture ; mais elle est, pour ainsi dire, hérissée, émaillée de châteaux et de palais, brodée de parcs et de jardins. Elle n’abonde pas en grands et sublimes points de vue, mais bien en petites scènes d’intérieur pleines de repos champêtre, de calme et de sécurité. Chaque ancienne ferme, chaque cabane couverte de mousse est un tableau ; et comme les routes ondulent sans cesse, que la vue est fermée par des massifs et des haies, l’œil est ravi par une continuelle succession de petits paysages dont le charme vous captive.

Le grand attrait, cependant, des paysages anglais, c’est le sen-