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surtout détourner. Gouvernés entièrement comme nous le sommes par l’opinion publique, nous devons apporter le plus grand soin à préserver de toute atteinte la pureté de l’esprit public. La puissance, c’est le savoir, et le savoir c’est la vérité : d’où il suit que quiconque propage sciemment un préjugé sape de propos délibéré les fondements de la puissance de son pays.

Les membres d’une république, plus que tous autres hommes, doivent être sincères, exempts de passions. Ils sont, individuellement, des portions de l’esprit souverain, de la volonté souveraine, et doivent pouvoir aborder toutes les questions d’intérêt national calmes et l’esprit libre de tous préjugés. D’après la nature particulière de nos rapports avec l’Angleterre, nous devons avoir plus fréquemment avec elle qu’avec toute autre nation des questions d’un caractère épineux et délicat, questions qui touchent aux sentiments les plus déliés et les plus excitables ; et comme, lorsqu’il s’agit de les résoudre, les mesures prises par la nation doivent, en définitive, être déterminées par le sentiment populaire, nous ne pouvons être trop soigneusement attentifs à le purifier de toute passion et de tout préjugé secrets.

Ouvrant aussi, comme nous le faisons, un asile aux étrangers qui viennent de toutes les parties du monde, nous devons les accueillir tous avec impartialité. Nous devons mettre notre orgueil à prouver qu’il est au moins une nation exempte d’antipathies nationales, non-seulement exerçant l’hospitalité d’une façon ouverte, mais donnant encore des marques de cette courtoisie plus noble et plus rare qui naît de la libéralité d’opinion.

Qu’avons-nous à faire avec les préjugés nationaux ? Ce sont les maladies invétérées des vieux peuples, contractées dans des siècles de rudesse et d’ignorance, alors que les nations se connaissaient à peine les unes les autres et jetaient au delà de leurs frontières des regards soupçonneux et hostiles. Nous, au contraire, nous sommes nés à l’existence nationale dans un siècle de lumière et de philosophie, où les différentes parties du monde habitable et les branches diverses de la famille humaine ont été étudiées sans relâche et mises en rapport les unes avec les autres ; et nous répudions les avantages de notre naissance si nous ne secouons les préjugés nationaux, comme nous le ferions pour les superstitions locales du vieux monde.