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d’avoir été assez infatuée pour rejeter loin d’elle une nation qu’elle aurait pu serrer contre son sein, et fait fuir ainsi la seule chance qu’elle eût d’avoir de véritables amis au delà des limites de son empire.

L’opinion générale, en Angleterre, est que les habitants des États-Unis sont ennemis de la mère-patrie. C’est une de ces erreurs qui ont été propagées avec soin par des écrivains qui avaient leur but. Il y a sans doute beaucoup d’hostilité politique, et généralement beaucoup d’amertume causée par l’illibéralité de la presse anglaise ; mais, collectivement parlant, les préjugés de la nation sont visiblement en faveur de l’Angleterre. Il fut même un temps où, dans mainte partie de l’Union, on en était arrivé à un degré de superstition absurde : le seul nom d’Anglais était un titre assuré à la confiance et à l’hospitalité de toutes les familles, et fut trop souvent un débouché momentané pour l’indignité comme pour l’ingratitude. Partout, dans ce pays, il y avait je ne sais quel enthousiasme qui se liait à l’idée de l’Angleterre. Nous la regardions avec un sentiment pieux de tendresse et de vénération, comme la terre de nos ancêtres — l’auguste dépôt des monuments et des antiquités de notre race — le lieu de naissance et le mausolée des sages et des héros de l’histoire de nos pères. Après notre propre pays, il n’en était pas dont la gloire nous fût plus chère — pas dont nous fussions plus désireux de posséder l’estime — pas pour lequel nos cœurs battissent plus fort, notre sang coulât plus chaud ; et, pendant la dernière guerre, toutes les fois que des sentiments de bienveillance eurent la moindre occasion de percer, les âmes généreuses de notre pays se firent un bonheur de montrer qu’au milieu des hostilités elles veillaient sur l’étincelle où se rallumerait dans l’avenir le foyer de l’amitié.

Tout cela doit-il avoir un terme ? Est-ce que ces liens d’or des douces sympathies, si rares entre nations, seront brisés pour toujours ? — Peut-être est-ce pour le mieux. — Cela dissipera peut-être une illusion qui aurait pu nous maintenir dans un vasselage mental ; qui aurait pu venir, à l’occasion, heurter nos véritables intérêts, empêcher la croissance d’un légitime amour-propre national ; mais il est pénible de se dégager du lien sympathique ! et puis il est des sentiments qui vous sont plus chers