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peuvent avoir, été traités en Amérique avec un respect auquel ils n’étaient pas accoutumés ; et qu’ayant été toute leur vie habitués à se considérer comme au-dessous de la sphère de la bonne société, élevés dans un sentiment servile d’infériorité, ils deviennent arrogants à la moindre marque de politesse : ils attribuent à la bassesse des autres leur propre élévation, et méprisent une société où il n’y a pas de distinctions artificielles, où le hasard peut faire d’individus tels qu’eux-mêmes des hommes d’importance.

On pouvait supposer, toutefois, que des renseignements puisés à de telles sources, sur un sujet où la vérité est si désirable, ne seraient accueillis qu’avec réserve par les censeurs de la presse ; que les motifs de ces hommes, leur véracité, les occasions qu’ils ont eues de s’informer et d’observer, leurs capacités pour juger bien, seraient rigoureusement examinés avant que leur témoignage fût admis contre une nation alliée, quand il devait avoir une si effrayante portée. C’est précisément le contraire qui est cependant arrivé, et l’on y trouve un exemple frappant de l’inconséquence humaine. Rien ne peut surpasser la vigilance avec laquelle les critiques anglais rechercheront jusqu’à quel point on peut croire un voyageur qui publie la description de quelque pays lointain et, comparativement parlant, sans importance. Avec quelle minutie confronteront-ils les toisés d’une pyramide ou les signalements d’une ruine ; avec quelle sévérité censureront-ils la moindre inexactitude qui se sera glissée dans ces travaux, qui s’appliquent à des choses purement curieuses ! Mais ils accueilleront avec transport, avec une foi robuste, les exposés grossièrement faux de mauvais, d’obscurs écrivains, concernant un pays avec lequel leur propre pays se trouve avoir les rapports les plus importants et les plus délicats. Que dis-je ? de ces livres apocryphes ils feront des textes sacrés, qu’ils commenteront avec une ardeur et un talent dignes d’une cause plus généreuse.

Je ne m’arrêterai pas cependant sur un sujet aussi pénible, aussi rebattu ; je n’aurais même pas attiré sur lui l’attention si mes concitoyens n’y avaient pris visiblement un intérêt qu’il ne méritait point, et si je n’avais pas craint qu’il produisît sur le sentiment national certains effets pernicieux. Nous attachons trop d’importance à ces attaques. Elles ne peuvent nous porter un