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intelligence. Le caractère national est encore dans un état de fermentation ; il peut avoir son écume et son sédiment, mais les éléments en sont sains et de bonne nature ; il a déjà fourni la preuve de ses puissantes et généreuses qualités, et, somme toute, promet de se réduire en quelque chose de réellement excellent. Mais les causes qui travaillent à lui imprimer la force et la noblesse, les marques qu’il donne chaque jour d’admirables propriétés, sont entièrement perdues pour ces observateurs à vue courte, qui ne sont affectés que par les petites aspérités résultant de la situation présente. Ils ne sont capables de juger que de la surface des choses ; de celles qui viennent à se trouver en contact avec leurs intérêts privés, leurs plaisirs personnels. Il leur manque quelques-unes de ces chaudes commodités, quelques-uns de ces éléments de bien-être mesquin qui sont l’apanage d’une vieille société, d’une civilisation raffinée, d’un pays trop peuplé, où les rangs des travailleurs utiles sont encombrés, où beaucoup gagnent péniblement et servilement leur pain à étudier jusqu’aux caprices des appétits et de l’amour de soi-même. Ces petites jouissances, cependant, pèsent énormément dans l’appréciation des esprits étroits ; ils ne voient pas ou ne veulent pas reconnaître qu’elles sont plus que contre-balancées chez nous par de grands bienfaits universellement répandus.

Peut-être ont-ils été déçus dans quelque déraisonnable espoir de fortune soudaine. Ils s’étaient peut-être peint l’Amérique comme un Eldorado, où l’or et l’argent abondaient, dont les habitants étaient dépourvus de sagacité ; où ils devaient devenir merveilleusement et soudainement riches, d’une façon imprévue, mais certainement aisée. La même faiblesse d’esprit qui enfante les espoirs absurdes produit l’irritation quand le désappointement arrive. Les personnes de ce caractère s’aigrissent alors contre le pays quand elles s’aperçoivent que, comme partout ailleurs, un homme y doit semer avant de pouvoir récolter ; qu’il faut arriver à la fortune par l’industrie et le talent ; lutter contre les difficultés qu’offre partout la nature, et triompher de la finesse d’un peuple intelligent et oseur.

Peut-être aussi que, par suite d’une mauvaise entente ou d’une mauvaise direction de l’hospitalité, ou de ce vif penchant à réjouir, à fêter les étrangers, qui domine mes concitoyens, ils