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propre ou d’intérêt, personne ne peut les égaler pour la profondeur philosophique de leurs aperçus sur la société, pour la fidélité, le pittoresque des descriptions d’objets extérieurs ; mais l’intérêt ou la réputation de leur pays en viennent-ils aux prises avec ceux d’un autre, ils vont à l’extrême opposé, ils oublient leur probité, leur candeur habituelles pour donner cours à leur humeur chagrine et s’abandonner à un mesquin esprit de sarcasme.

Il suit de là que plus est éloignée la contrée qu’ils décrivent, plus est honnête et fidèle la relation qu’ils en font. J’aurais la foi la plus entière dans la description que me ferait un Anglais des régions situées au delà des cataractes du Nil, d’îles inconnues dans la mer Jaune, de l’intérieur de l’Inde, ou de tout autre pays que d’autres voyageurs pourraient être tentés de nous peindre avec les couleurs de leur imagination ; mais ce n’est qu’avec défiance que j’accueillerais son rapport concernant ses voisins immédiats et ces nations avec lesquelles il se trouve avoir des relations très-fréquentes. Je veux bien me confier à sa probité, mais je ne veux pas partager ses préjugés.

Ç’a été aussi le lot exclusif de notre pays d’être visité par la pire espèce de voyageurs anglais. Tandis que des hommes d’une trempe philosophique, à l’esprit cultivé, ont été envoyés d’Angleterre pour explorer les pôles, pour pénétrer dans les déserts, pour étudier les mœurs et les coutumes de nations barbares, avec lesquelles elle ne peut avoir des rapports permanents de profit ou de plaisir, c’est au marchand en déconfiture, à l’aventurier faiseur de projets, à l’ouvrier errant, à l’agent de Manchester et de Birmingham, qu’il a été donné d’être ses oracles en ce qui touche l’Amérique. C’est à des sources semblables qu’elle se plaît à puiser ses informations sur un pays qui se trouve dans un singulier état de développement moral et physique ; un pays où s’accomplit maintenant une des plus grandes expériences politiques que présente l’histoire du monde, et qui offre à l’homme d’État et au philosophe le sujet d’étude le plus profond et le plus sérieux.

Que de tels hommes fassent de l’Amérique un rapport entaché de prévention, rien de moins surprenant : les sujets de contemplation qu’elle présente sont trop vastes ; trop élevés pour leur