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POST-SCRIPTUM.

Les lignes suivantes sont des notes de voyage empruntées à un mémorandum de M. Knickerbocker : —

« Les monts Kaatsberg ou Catskill ont été de tout temps un nid de fables. Les Indiens les considéraient comme le séjour d’esprits qui influaient sur la température, répandaient le soleil ou les nuages sur la campagne, et envoyaient de bonnes ou de mauvaises saisons de chasse. Ils étaient gouvernés par un vieil esprit femelle qu’on disait être leur mère, lequel habitait sur le pic le plus élevé des monts Catskill, et avait la garde des portes du jour et de la nuit, pour les ouvrir et les fermer au moment convenable. Il suspendait les nouvelles lunes dans les cieux, et découpait les vieilles en étoiles. Par les temps de sécheresse, quand on savait se le rendre favorable, il filait de légers nuages d’été avec des toiles d’araignées et de la rosée du matin, et, de la crête de la montagne, les envoyait, flocon par flocon, comme des mèches de coton cardé, se balancer dans l’air, jusqu’à ce que, dissous par la chaleur du soleil, ils tombassent en pluie douce et fissent pousser l’herbe, mûrir les fruits, et croître le blé d’un pouce par heure. Était-il irrité, il brassait des nuages noirs comme de l’encre, assis au centre comme une grosse araignée au milieu de sa toile ; et quand ces nuages crevaient, gare les vallons !

« Dans l’ancien temps, disent les traditions indiennes, il y avait une espèce de Manitou, ou Esprit, qui hantait les plus sauvages retraites des monts Catskill et prenait un malin plaisir à exercer toutes sortes de méfaits et de vexations sur les hommes rouges. Parfois il revêtait la forme d’un ours, d’une panthère ou d’un daim, se faisait faire par le chasseur, qu’il égarait, la chasse la plus acharnée à travers des forêts inextricables, au milieu de rocs dénudés, et puis disparaissait en poussant un vigoureux holà ! holà ! le laissant glacé de terreur sur le bord d’un précipice qui surplombait ou d’un torrent impétueux.

« On montre encore la demeure favorite de ce Manitou. C’est une grande roche ou falaise sur la partie la plus écartée des montagnes, et, à cause des vignes en fleurs qui y grimpent et des fleurs sauvages qui abondent dans son voisinage, elle est connue sous le nom de Roc du Jardin. Presque au pied se trouve un petit lac, séjour du butor solitaire, et des serpents d’eau s’y baignent au soleil sur les feuilles de nénuphars blancs qui flottent à la surface. Cet endroit était tenu en grande crainte et vénération par les Indiens, à ce point que le plus