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l’habitude de grimper sur son dos. Quant au fils et à l’héritier de Rip, seconde édition de son père, qu’il avait vu appuyé contre un arbre, on l’employait à travailler sur la ferme ; mais il marquait une disposition héréditaire à s’appliquer à toute autre chose qu’à sa besogne.

Rip reprit alors ses promenades et ses habitudes d’autrefois. Il eut bientôt retrouvé plusieurs de ses anciennes connaissances ; mais leur caractère s’était déplorablement modifié avec les années, et il préféra se faire des amis parmi la génération naissante, auprès de laquelle il fut bientôt en grande faveur.

N’ayant rien à faire à la maison, et étant arrivé à cet heureux âge où un homme peut être impunément oisif, il reprit sa place sur le banc à la porte de l’auberge, et fut vénéré comme un des patriarches du village, une chronique du vieux temps — « avant la guerre. » Il se passa quelque temps avant qu’il pût prendre part aux causeries d’une façon complète, avant qu’on pût lui faire saisir les événements étranges qui avaient eu lieu pendant sa torpeur ; comment il se faisait qu’il y avait eu une révolution, puis la guerre — que le pays avait repoussé le joug de la vieille Angleterre — et qu’au lieu d’être le sujet de S. M. Georges III, il était maintenant citoyen libre des États-Unis. Rip, dans le fait, n’était pas un politique : les variations des États et des empires l’affectaient assez médiocrement ; mais il était une espèce de despotisme sous lequel il avait longtemps gémi — l’empire de la cornette. Heureusement que son règne était fini ; il avait retiré son cou du joug matrimonial, et pouvait entrer et sortir quand il lui plaisait, sans avoir à redouter la tyrannie de dame Van Winkle. Toutes les fois qu’on prononçait son nom, cependant, il secouait la tête, haussait les épaules et levait les yeux au ciel, ce qui pouvait passer pour l’expression de sa résignation à sa destinée, ou de la joie qu’il éprouvait de sa délivrance.

Il avait coutume de raconter son histoire à tous les étrangers qui arrivaient à l’hôtel de M. Doolittle. On remarqua d’abord qu’il variait sur quelques points chaque fois qu’il la disait, ce qui, à n’en pas douter, venait de ce qu’il était tout récemment éveillé. Elle finit cependant par prendre un caractère de fixité : c’est celle-là que nous avons racontée, et il n’y avait pas dans le voisinage un homme, une femme ou un enfant qui ne la sût