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l’avoir gorgé de liqueur, de lui avoir dérobé son fusil. Wolf aussi avait disparu ; mais il pouvait s’être élancé à la poursuite d’un écureuil ou d’une perdrix. Il le siffla et l’appela à grands cris, le tout en vain ; l’écho répéta son sifflement et ses cris, mais du chien pas de nouvelles.

Il résolut de revisiter le théâtre des jeux de la soirée dernière, et s’il rencontrait quelqu’un de ceux qu’il y avait vus, de lui demander son chien et son fusil. Comme il se levait pour se mettre en marche, il s’aperçut qu’il avait les articulations raides, que son agilité ordinaire lui faisait défaut. « Ces lits de montagne ne me conviennent pas, pensa Rip, et si cette folie me valait un rhumatisme je passerais un joli quart d’heure avec dame Van Winkle. » Il descendit, non sans difficulté, dans le vallon : il trouva le ravin que son compagnon et lui avaient escaladé le soir précédent ; mais, à sa grande surprise, un ruisseau de montagne y jetait maintenant son écume, sautant de rocher en rocher, babillant et remplissant la vallée de murmures. Cependant il s’efforça de grimper sur les côtés, se frayant péniblement un chemin à travers des buissons de bouleau, de sassafras, de coudrier, trébuchant parfois ou s’embarrassant dans les ceps de vigne sauvage qui entrelaçaient d’un arbre à l’autre leurs tendrons caressants et formaient sous ses pas une espèce de réseau.

Enfin il atteignit l’endroit où le ravin leur avait fourni un passage à travers les rochers pour gagner l’amphithéâtre ; il ne restait aucune trace d’une semblable ouverture. Les rochers formaient une muraille élevée, impénétrable, sur laquelle le torrent roulait sa nappe d’écume diaphane, pour se jeter dans un bassin large et profond, noir des ombres de la forêt prochaine. Ici le pauvre Rip fut enfin forcé de s’arrêter. Il appela, il siffla encore son chien : pas d’autre réponse que les croassements d’une bande de corbeaux oisifs se jouant dans l’air, bien au-dessus de lui, autour d’un arbre desséché qui avançait sur un précipice éclairé par le soleil. Confiants dans leur élévation, ils semblaient regarder en bas et se moquer des perplexités du pauvre homme. Que faire ? — la matinée s’avançait, et Rip, mourant de faim, sentait le besoin de déjeuner. Il était désolé d’abandonner son chien et son fusil ; il redoutait l’accueil de sa femme ; mais ce n’était pas