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certaine distance une voix qui criait : « Rip Van Winkle ! Rip Van Winkle ! » Il regarda autour de lui, mais il ne vit rien… qu’une corneille qui passait dans son vol solitaire, perpendiculairement à la montagne. Il crut avoir été le jouet de son imagination, et se retournait pour continuer à descendre, quand il entendit le même cri retentir dans l’air assoupi du soir : « Rip Van Winkle ! Rip Van Winkle ! » — En même temps le dos de Wolf se hérissa ; il poussa un grognement étouffé, et, se serrant contre son maître, jeta dans le vallon un regard effrayé. Rip alors sentit une vague appréhension s’emparer de lui ; il jeta dans la même direction un regard inquiet, et aperçut une forme étrange escaladant lentement et péniblement les rochers, courbée sous le poids d’un fardeau qu’elle portait sur son dos. Il fut surpris de voir un être humain dans cet endroit sauvage et non fréquenté ; mais supposant que c’était quelque habitant du voisinage qui avait besoin de son secours, il se hâta de descendre pour le lui prêter.

Comme il approchait davantage, il fut encore plus surpris de la singularité de la personne de l’étranger. C’était un petit vieillard construit en carré, avec des cheveux épais et incultes et une barbe grise. Il était habillé à l’ancienne mode hollandaise — un pourpoint de drap serré autour de la taille, plusieurs paires de hauts-de-chausses, dont le dernier très-ample, orné de rangées de boutons sur les côtés et de nœuds aux genoux. Sur son épaule était un lourd barriquaut, qui paraissait plein de liquide. Il fit signe à Rip d’approcher et de l’aider à le porter. Quoique sur ses gardes et se défiant de cette nouvelle connaissance, Rip se rendit à son désir avec son empressement ordinaire, et s’aidant l’un l’autre tour à tour, ils escaladèrent une gorge étroite, formée, selon toute apparence, par le lit d’un torrent desséché de la montagne. Comme ils gravissaient, Rip entendit de temps à autre de longs roulements, semblables à des coups de tonnerre dans le lointain, qui paraissaient sortir d’un profond ravin, ou plutôt d’une crevasse, entre des rochers au front élevé, vers lequel menait le sentier difficile qu’ils avaient pris. Il s’arrêta pendant un instant, mais il supposa que c’était le bruit sourd d’une de ces pluies accompagnées de tonnerre et sans durée, fréquentes dans les montagnes sur les hauteurs, et se remit en marche.