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suite de l’incompatibilité de conseils d’ailleurs excellents. Celui-ci l’avertissait charitablement d’éviter le comique ; un autre de se garder du pathétique ; un troisième lui assurait qu’il était supportable dans la description, mais l’invitait seulement à laisser là le récit, tandis qu’un quatrième déclarait qu’il avait une assez grande facilité pour tourner une histoire, et était réellement intéressant dans ses accès de rêverie pensive, mais se fourvoyait déplorablement s’il s’imaginait posséder la moindre étincelle d’humour.

Ainsi, mis en peine par les conseils de ses amis, qui, chacun à tour de rôle, lui fermaient quelque sentier particulier, mais à cela près abandonnaient le monde entier à ses ébats, il reconnut que suivre tous leurs avis serait, dans le fait, rester immobile. Il demeura quelque temps cruellement embarrassé, quand tout à coup cette pensée lui traversa l’esprit, d’aller à l’aventure ainsi qu’il avait commencé ; que son ouvrage étant une suite de mélanges écrits pour différents goûts, on ne devait pas s’attendre à ce que tout le monde fût satisfait du tout ; mais que si chaque lecteur pouvait y trouver quelque chose qui lui convînt, son but serait complètement rempli. Peu de convives s’asseoient à une table chargée de mets variés avec un égal appétit pour tous les plats. Celui-ci a une aristocratique horreur pour le porc rôti ; cet autre tient un curry ou un devil en profonde abomination ; un troisième ne peut supporter l’antique parfum de la venaison et de la volaille sauvage ; un quatrième, à l’estomac vraiment masculin, voit d’un œil de souverain mépris ces colifichets çà et là servis pour les dames. C’est ainsi que chaque article est condamné tour à tour ; et cependant, en dépit de cette variété d’appétits, il est rare qu’un plat soit enlevé de dessus la table sans avoir été goûté, savouré par l’un ou l’autre des convives.

C’est sous le mérite de ces considérations qu’il se hasarde à servir humblement ce second volume, d’une nature aussi hétérogène que son aîné, sollicitant simplement le lecteur, s’il trouvait çà et là quelque chose qui lui plût, de se bien pénétrer de l’idée que ç’a été expressément écrit pour d’intelligents lecteurs comme lui ; mais le suppliant, s’il trouvait quelque chose à blâmer, de le tolérer comme un de ces articles que l’auteur a été obligé d’écrire pour des personnes d’un goût moins raffiné.