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que le silence se fut rétabli, il appuya un bras sur le coude de son fauteuil, pendant que l’autre formait l’anse, et demanda avec un léger mais excessivement avisé mouvement de tête et une contraction du front quelle était la morale de l’histoire, et ce qu’elle voulait prouver ?

Le narrateur, qui était alors en train de porter un verre de vin à ses lèvres, comme un réconfortant après ses fatigues, s’arrêta pendant un moment, regarda son interrogateur d’un air de déférence infinie, et, abaissant lentement son verre sur la table, fit observer que l’histoire tendait très-logiquement à prouver : —

« Qu’il n’y a pas de situation dans la vie qui n’ait ses avantages et ses plaisirs, — pourvu seulement que nous voulions prendre comme il faut la plaisanterie :

« Or, que celui qui lutte à la course avec des cavaliers fantômes ne peut manquer d’être mené grand train.

« Ergo, que pour un maître d’école se voir refuser la main d’une héritière hollandaise est un pronostic assuré de haut avancement dans l’État. »

Le vieux gentleman circonspect fronça les sourcils dix fois plus fort après cette explication, étant grandement intrigué par l’emmanchement de ce syllogisme, tandis que, me sembla-t-il, le vieillard aux habits poivre et sel le regardait du coin de l’œil avec un certain air de triomphe. Il finit par faire cette remarque, que tout cela était fort bien, mais qu’il jugeait néanmoins l’histoire quelque peu extravagante ; — il y avait deux ou trois points sur lesquels il lui restait des doutes.

« Ma foi, Monsieur, répliqua le conteur, pour ce qui est de ça, je vous dirai que je n’en crois pas la moitié moi-même. »

D. K.