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vieillard était occupé à examiner l’intérieur d’une truite qu’il venait de prendre, afin de découvrir, par son contenu, quels insectes étaient propres à servir d’amorce, et donnait à ce sujet une leçon à ses compagnons, qui paraissaient l’écouter avec une déférence infinie. J’éprouve une certaine sympathie pour tous les « confrères de la ligne » depuis que j’ai lu Isaac Walton. Ce sont, assure-t-il, des hommes de « douce, bienveillante et pacifique humeur » ; et mon estime pour eux s’est encore accrue par suite de la rencontre que je fis d’un vieux traité de la pêche à la ligne dans lequel sont énoncées nombre des maximes de leur inoffensive confrérie. « Ayez bien soin, » dit cet honnête petit traité, « quand vous vous livrerez à ce divertissement, de n’ouvrir la porte de personne sans la refermer. Vous ne vous adonnerez non plus à la savante récréation ci-dessus dans l’unique intention d’arrondir ou d’épargner votre bourse, mais pour votre consolation, afin de vous procurer la santé du corps et surtout celle de l’âme[1]. »

Je crus avoir rencontré dans l’habile pêcheur à la ligne que j’avais sous les yeux la réalisation de ce que j’avais lu ; et puis il y avait dans ses regards un contentement sympathique qui m’attirait irrésistiblement vers lui. Je ne pus m’empêcher d’observer la manière toute galante dont il courait d’un endroit du ruisseau à un autre, tenant en l’air sa ligne pour empêcher le fil de traîner par terre ou de s’embarrasser dans les buissons ; et l’adresse avec laquelle il jetait sa mouche à tous les bons endroits ; lui faisant quelquefois légèrement effleurer un petit courant, quelquefois la plongeant dans une de ces profondes cavités formées par une racine tortueuse ou le surplombement de la rive, et dans lesquelles les grosses truites ont coutume de se tapir. Il donnait en même temps des leçons à ses deux disciples, leur montrant de quelle

  1. Il semblerait, d’après le même traité, que la pêche à la ligne est une occupation plus savante et plus pieuse qu’on ne le pense généralement. — « Car lorsque vous vous proposez de goûter le plaisir de la pêche à la ligne, vous ne tenez pas essentiellement à avoir beaucoup de personnes avec vous, qui pourraient aller à la traverse de vos jouissances, et pour pouvoir servir Dieu dévotement en disant efficacement vos prières habituelles. Ce faisant, vous fuirez et éviterez aussi bien des vices, par exemple l’oisiveté, qui a surtout pour résultat de pousser l’homme à bien d’autres vices, comme chacun sait. »