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cette course turbulente, reparaissait tout à coup sans bruit à ciel libre, de l’air le plus placide et le plus modeste imaginable : telle j’ai vu parfois une enragée furie de ménagère, après avoir fait retentir le logis de son vacarme et de sa mauvaise humeur, passer le seuil toute souriante, onduler et tirer des révérences, et lancer des œillades à tout le monde.

Que ce ruisseau vagabond glissait doucement alors, courant au sein de vertes prairies parmi les montagnes, où le repos était seulement interrompu par le tintement accidentel d’une clochette sorti du bétail assoupi dans la luzerne, ou le bruit de la hache du bûcheron, partant de la forêt voisine !

Pour moi, qui fus toujours d’une nullité peu commune dans toute espèce de passe-temps qui exigeait ou de la patience ou de l’habileté, je n’avais pas péché plus d’une demi-heure que j’avais complètement « satisfait le sentiment », et m’étais convaincu de la vérité de l’opinion d’Isaac Walton, que la pêche à la ligne est un peu comme la poésie : — il faut être né pour ça. Je me harponnais au lieu du poisson ; j’embarrassais ma ligne dans tous les arbres, perdais mon amorce, cassais le scion. Enfin, de désespoir, j’abandonnai l’entreprise, et passai la journée sous les arbres, à lire le vieil Isaac ; constatant avec bonheur que c’était sa verve enchanteresse d’honnête simplicité et de sentiment rustique qui m’avait ensorcelé, et non la passion de la pêche. Quant à mes compagnons, ils étaient plus persévérants dans leur illusion. En ce moment je les ai devant les yeux, marchant à petit bruit le long du ruisseau, à l’endroit où il coulait à ciel découvert ou était simplement frangé d’arbustes et de buissons. Je vois le butor s’élever avec un cri sourd lorsqu’ils font irruption dans sa retraite rarement envahie ; le martin-pêcheur les épiant soupçonneusement de son arbre desséché qui se projette au-dessus de l’étang d’un noir foncé, dans la gorge des collines ; la tortue se laissant obliquement glisser de sur la pierre ou le tronc d’arbre sur lesquels elle se réchauffe au soleil ; et la grenouille, saisie d’une terreur panique, s’enflant et plongeant tête baissée à leur approche, répandant l’alarme parmi toute la gent aquatique d’alentour.

Je me souviens aussi qu’après nous être fatigués, avoir épié, rampé pendant la plus grande partie du jour, à peu près sans au-