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si fréquemment dans ces affections irréfléchies. Son rang dans la vie, — les préjugés de noblesse et de parenté, — sa position dépendante vis-à-vis d’un père orgueilleux et inflexible, — tout lui défendait de songer au mariage ; — mais quand il jetait les yeux sur cette innocente créature, si frêle et si confiante, il y avait une pureté dans ses manières, une netteté dans sa vie et une modestie suppliante dans ses regards, qui terrassaient sous le respect tout sentiment libertin. En vain essayait-il de se fortifier par mille odieux exemples tirés d’hommes du bel air, et d’éteindre le foyer des sentiments généreux au moyen de cette légèreté froidement ironique avec laquelle il les avait entendus parler de la vertu des femmes ; toutes les fois qu’il se trouvait en sa présence, elle était toujours environnée par ce charme mystérieux mais impassible de la pureté virginale, dans la sphère sacrée de laquelle ne peut vivre aucune pensée coupable.

L’arrivée soudaine d’ordres au régiment de gagner le continent acheva de mettre le trouble dans son esprit. Il demeura quelque temps dans l’état d’irrésolution le plus douloureux ; il hésitait à lui faire part de ces nouvelles avant que le jour du départ fût arrivé, quand il lui en donna connaissance un soir dans le cours d’une promenade.

L’idée d’une séparation ne s’était pas encore présentée à elle ; elle s’abattit tout d’un coup sur son rêve de bonheur. Elle l’envisagea comme un désastre soudain et irréparable, et fondit en larmes avec la naïve simplicité d’un enfant. Il l’attira sur son sein, et ses baisers essuyèrent les pleurs qui inondaient ses joues charmantes ; il ne fut pas repoussé, car il est des instants où la douleur et la tendresse, en se confondant, purifient les caresses de l’amour. Il était naturellement impétueux, et la vue de la beauté se laissant en apparence aller dans ses bras, la conscience de son pouvoir sur elle, et sa crainte de la perdre pour toujours, tout conspirait à étouffer ses bons sentiments : — il se hasarda à lui proposer d’abandonner la maison paternelle et de s’attacher à sa fortune.

Il était tout à fait novice dans l’art de séduire, et rougit et pâlit de sa propre bassesse ; mais si naïve d’esprit était celle dont il voulait faire sa victime, qu’elle fut d’abord en peine de comprendre ce qu’il voulait dire, et pourquoi elle quitterait son