Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regards et ses paroles occupaient toute son attention ; absent, elle ne pensait qu’à ce qui s’était passé lors de leur dernière entrevue. Elle s’égarait avec lui dans les sentiers verts bordés de haies, au milieu des scènes agrestes du voisinage. Il lui apprenait à découvrir de nouvelles beautés dans la nature ; il s’exprimait dans le langage de la vie élégante et cultivée, et versait doucement dans son oreille les enchantements de la fiction et de la poésie.

Peut-être n’y eut-il jamais entre les deux sexes de passion plus pure que celle de cette innocente fille. La jolie tournure de son jeune admirateur, et l’éclat de son costume militaire, pouvaient tout d’abord avoir charmé ses yeux, mais ce n’était pas cela qui avait captivé son cœur. Son attachement avait en soi quelque chose de l’idolâtrie. Elle le considérait comme un être d’un ordre supérieur. Elle éprouvait dans sa société l’enthousiasme d’un esprit naturellement délicat et poétique, et qui pour la première fois s’éveille à la vive perception du grand et du beau. Quant aux méprisables distinctions de rang et de fortune, elle n’y songeait seulement pas ; c’était la différence d’esprit, de port, de manières, d’avec ceux de l’entourage rustique auquel elle était accoutumée, qui l’élevait à ses yeux. Elle l’écoutait d’une oreille charmée, le regard baissé vers la terre, dans un muet ravissement, et sa joue se colorait sous l’enthousiasme ; et si parfois elle hasardait un regard furtif de timide admiration, il était aussi promptement détourné, et elle soupirait et rougissait à l’idée de son indignité comparative.

Son amant était également sous le charme, mais sa passion était mélangée de sentiments d’une nature plus grossière. Il avait commencé cette liaison avec légèreté, car il avait souvent entendu les officiers ses camarades se vanter de leurs conquêtes villageoises, et croyait quelque triomphe de cette espèce nécessaire à sa réputation d’homme entreprenant. Mais il était trop plein d’ardeurs juvéniles ; son cœur n’avait pas encore été rendu suffisamment froid et égoïste par une vie errante et dissipée : il prit feu à la flamme même qu’il cherchait à allumer, et avant qu’il se fût aperçu de la nature de sa situation il devint réellement amoureux.

Que ferait-il ? Il y avait les éternels obstacles qui se rencontrent