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ils n’ont jamais su qu’il fût résulté rien de bon de cette passion pour la chasse, les courses de chevaux, les fêtes bruyantes et les luttes de boxeurs. Bref, le domaine de M. Bull est un très-beau domaine, et est resté longtemps dans la famille ; mais, malgré tout cela, ils ont vu maints domaines plus beaux encore aboutir au marteau du commissaire-priseur.

Ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est l’effet que ces embarras pécuniaires et ces discordes intestines ont eu sur le pauvre homme lui-même. Au lieu de cet abdomen si gaillard et si rond, de ce visage propret et vermeil, qu’il avait coutume d’exposer aux regards, il est depuis peu devenu aussi ridé, aussi racorni qu’une pomme mordue par la gelée. Son gilet écarlate à galons d’or, qui se gonflait si crânement dans ces jours prospères où il filait sous le vent, maintenant retombe tristement autour de lui comme la grande voile par une bonace. Sa culotte de cuir est pleine de rides et de plis, et l’on voit qu’elle a beaucoup à faire pour soutenir les bottes qui bâillent de chaque côté de ses jambes autrefois respectables.

Au lieu de marcher fièrement, comme par le passé, son chapeau à trois cornes sur l’oreille, de brandir son bâton et de le faire descendre à chaque instant avec un bruit sec sur le sol, de regarder chacun bravement au visage et de fredonner un lambeau d’air à reprises ou une chanson à boire, il suit maintenant son chemin en sifflant à part lui d’un air pensif, la tête penchée vers la terre, son bâton relevé sous son bras, et les mains enfoncées jusqu’au fond des poches de son haut de chausses, qui sont manifestement vides.

Telle est à présent la condition de l’honnête John Bull ; et pourtant, malgré tout cela, le cœur du vieux drille est aussi ferme, aussi hardi que jamais. Vous échappe-t-il la moindre expression de sympathie ou d’intérêt, il prend feu tout d’abord, jure qu’il est le plus riche et le plus solide gaillard de la contrée, parle de consacrer de grosses sommes à l’embellissement de sa maison ou à l’achat d’un autre domaine, et d’un air rodomont, serrant fortement son bâton, appelle de tous ses vœux un nouvel assaut au brin d’estoc.

Bien qu’il puisse y avoir dans tout ceci quelque chose d’assez bizarre, j’avoue cependant que je ne puis envisager la situation de