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sa place un prédicateur ambulant ; — que dis-je ? il voudrait que l’antique demeure fut entièrement rasée au niveau du sol, et qu’une autre, tout simplement de brique et de mortier, s’élevât au même endroit. Il se déchaîne contre toutes les réjouissances sympathiques et les fêtes de famille, et s’esquive en grommelant pour aller au café toutes les fois qu’un équipage s’arrête devant la porte. Bien que constamment à se plaindre du vide de sa bourse, il ne se fait pas scrupule de dépenser tout son argent de poche dans ces réunions de taverne, et même se fait ouvrir des comptes pour le liquide au-dessus duquel il moralise sur l’extravagance de son père.

On s’imaginera aisément combien une telle opposition s’accorde peu avec le caractère irascible du vieux cavalier. Il est devenu si irritable, par suite de contradictions incessantes, que le seul mot d’économie ou de réforme est le signal d’une dispute entre lui et l’oracle de taverne. Comme ce dernier est trop grand garçon, trop intraitable pour la discipline paternelle, ayant, avec l’âge, perdu toute crainte du bâton, ils se font dans des scènes fréquentes une guerre de mots, lesquels vont parfois si loin, que John est obligé d’appeler à l’aide son fils Tom, officier qui a servi sur le continent, mais qui vit maintenant à la maison, en demi-solde. Celui-ci ne manque jamais de se ranger du côté du vieux gentilhomme, qu’il ait tort ou raison ; n’aime rien tant qu’une vie bruyante et joyeuse, et est tout prêt, sur un clin d’œil ou un signe de tête, à dégainer et à brandir son sabre au-dessus de la tête de l’orateur, s’il s’avise de s’insurger contre l’autorité paternelle.

Ces dissensions domestiques se sont, suivant l’usage, répandues au dehors, et sont un merveilleux aliment de scandale dans le voisinage de John. Les gens commencent à prendre un air grave, et secouent la tête si l’on vient à parler de ses affaires. Tous ils « espèrent que sa position n’est pas aussi critique qu’on la représente ; mais pour que les propres enfants d’un homme en arrivent à se déchaîner contre son extravagance, il faut que les choses aillent bien mal. Ils entendent dire qu’il a des hypothèques par-dessus les oreilles et est continuellement en pourparler avec des usuriers. C’est assurément un vieux gentleman très-libéral, mais ils craignent qu’il n’ait vécu trop vite ; à vrai dire,